LE BOULEVERSANT RECIT DE CARY SHEIH  RESCAPEE DE LA TOUR N° 1 du World Trade Center.  

(Photo ASCT). Ce mardi, à 8:48 du matin, je lisais mon courrier, comme je le fais chaque matin. Je venais juste de raccrocher le téléphone après une conversation avec le responsable du trafic de la Direction du Port concernant un dossier que je lui avais transmis le jour précédent.
J'étais en train de terminer mon sandwich habituel au beurre de cacahuètes, lorsque j'ai entendu une forte explosion, immédiatement suivie par de fantastiques oscillations et vibrations de l'immeuble. Jetée au bas de mon siège, j'ai tout de suite pensé que c'était un tremblement de terre, mais, après réflexion, je me suis dit que ce n'était pas normal, étant donné qu'il n'y a pas de tremblement de terre à New York, surtout d'une telle amplitude. Je me rappelle avoir pensé que l'immeuble semblait prêt à s'effondrer après cette première explosion. Après m'être remise, j'ai couru vers l'escalier de secours situé dans le centre de l'immense building. J'ai vu, par les fenêtres ouvrant vers la 14° Est des débris et des boules de feu. Ils tombaient depuis le haut du bâtiment qui avait cessé d'osciller le temps que j'atteigne la cage d'escalier. L'évacuation commençait rapidement mais calmement.

(Photo AOL) .
J'ignorais la gravité de ce qui se passait au-dessus. La foule avait commencé à se déverser dans cette cage d'escalier depuis les paliers des différents étages. J'ai vu une collègue de mon niveau (72 °). Nous nous sommes embrassées et nous nous sommes réconfortées mutuellement.
Il n'y a eu aucune annonce publique dans les escaliers, mais l'évacuation paraissait se dérouler sans heurt. Il n'y avait plus d'explosion, autant que nous puissions le dire et aucune fumée ne se répandait dans la cage d'escalier. L'immeuble avait cessé d'osciller. Nous avions l'impression d'avoir échappé à un danger imminent. Tandis que nous commencions à descendre, les gens se sont mis à discuter et se ressaisissaient. J'en ai entendu certains qui s'étaient trouvés là en 1993.
Ils disaient aux autres que c'était du gâteau par rapport à cette année-là où la cage d'escalier s'était trouvée plongée dans le noir et était remplie de fumée. D'autres plaisantaient au sujet de Mr Silverstein qui venait juste de prendre la direction du complexe et qui devait écumer de rage en voyant ce qui se passait.
Les minutes passèrent et certains d'entre nous commençaient à recevoir, par leurs coursiers, des messages indiquant qu'un 767 avait accidentellement heurté notre immeuble. Aucune attaque terroriste n'était mentionnée. Il n'y eut pas la moindre panique. Les téléphones portables étaient complètement hors circuit dans le centre de l'immeuble, étant donné ses dimensions colossales et la grande distance entre le coeur du bâtiment et ses bords où les signaux sont plus audibles. Aucune fumée dans les escaliers, mais on y reniflait une très étrange odeur, que je me rappelais plus tard, être celle qu'on sent quand on monte à bord d'un avion. Je me souvins, par la suite, que c'était l'odeur du kérosène.
Bientôt nous avons entendu les gens au-dessus de nous, nous crier de nous tenir sur le côté droit, et je vis des gens aveugles ou ayant de la difficulté à marcher, d'autres qui étouffaient, d'autres blessés encore se pressant sur le côté gauche pour descendre. Certains étaient si atrocement brû1és qu'il ne m'est pas possible de l'écrire ici. Nous avons continué à descendre depuis le 40°, en bon ordre et calmement, mais nous étions tous choqués !
Quelque part aux environs du 40° ou 30° étage nous avons croisé les premiers pompiers qui montaient les escaliers ; ils nous rassurèrent, disant que nous n'avions rien à craindre et que nous nous en sortirions tous bien. A cet endroit, ils étaient déjà hors d'haleine, mais grimpaient toujours lentement, inlassablement, un pas après l'autre. Je ne peux qu'imaginer à quel point ils étaient éreintés, portant leur hache, les tuyaux, tout leur lourd équipement, et grimpant à pied tous ces étages. Parmi nous, des hommes jeunes leurs proposèrent de leur porter leur matériel sur plusieurs étages, mais ils refusèrent tous. Pas un seul d'entre eux n'a accepté. Je revois ce moment sans cesse dans mon esprit et je ne peux m'empêcher de penser que ces courageux soldats du feu savaient déjà, instinctivement, qu'ils ne sortiraient pas de l'immeuble vivants et ils ne voulaient pas mettre en danger des civils et empêcher quiconque d'atteindre le rez-de-chaussée sans dommage.
Nous avons continué à descendre les marches, lentement et, par moments, complètement bloqués. L'odeur de kérosène était devenue si intolérable que nous avons commencé à nous couvrir la bouche et le nez avec ce que nous avions : cravates, mouchoirs etc...Tous les trois ou quatre étages, des équipes de secours donnaient de l'eau, des sodas, tirés d'appareils distributeurs qu'ils avaient forcés à l'étage.
Je n'avais aucune idée du temps qui s'était écoulé. Vers le 20° ou 15° étage, les sauveteurs commencèrent à faire passer les gens de mon groupe des escaliers où nous étions, vers d'autres escaliers. Ils nous ont conduis à travers un corridor dans lequel

j'ai vu, assis sur le sol, des pompiers et des sauveteurs, totalement épuisés, essayant de reprendre leur souffle. Et je m'interrogeais: Pourquoi tout cela ? Que s'est-il donc passé ? Toute cette opération paraissait si déroutante. Personne ne nous donnait la moindre explication.
L'attente dans le vestibule pour gagner l'autre escalier était épouvantablement longue, car il nous fallait du temps, pour nous regrouper avec ceux qui y étaient déjà. Pourquoi nous avait-on changé d'itinéraire ?
Comme nous reprenions notre descente, de l'eau se mit à couler derrière nous. J'ai pensé que c'était une canalisation qui avait éclaté ou bien que cette eau venait des équipes de secours dans les étages. A ce moment, pour la première fois depuis la première explosion, je me suis sentie prise de panique ; 7° étage puis 6°, encore un effort et je serais libre. Je ne pouvais plus attendre, il m'importait peu d'avoir de l'eau jusqu'aux chevilles. Je n'étais plus qu'à quelques étages du rez-de-chaussée. 4°- Tout à coup un énorme " boom " et l'immeuble recommença à trembler d'une façon intolérable, des gens tombèrent dans les escaliers et la fumée s'éleva depuis le bas. Les éclairages de secours clignotèrent et s'éteignirent. L'immeuble continua à trembler. Je pouvais entendre la charpente métallique se tordre ! Les sauveteurs au-dessous de nous, nous crièrent de remonter dans les étages supérieurs.
A ce moment, j'étouffais et je tremblais effroyablement. Je m'efforçai de regrimper jusqu'au 6° ou 7° étage et ouvris la porte du palier. L'eau avait encore monté et tout l'étage était plongé dans le noir. Avec sa lampe électrique, un pompier nous guidait grâce à la voix d'un autre pompier, qui nous dirigeait dans l'obscurité. Finalement nous avons réussi à traverser cet étage et à gagner l'autre cage d'escalier où nous attendait l'autre soldat du feu, qui nous dit de rester là. Le visage de ce nouveau pompier était éloquent. Il dit, entre ses dents quelque chose à son collègue faisant part de la gravité de la situation. Revoyant en esprit, ces deux pompiers communiquant entre eux, et, après coup, je crois bien que l'un avait murmuré à l'autre que la Tour n°2 s'était effondrée.
Après quelques minutes d'attente au 6° étage, où nous étions serrés les uns contre les autres, on lança le signal de "sauve-qui-peut". J'ai dévalé 6 étages avec quelques autres et me suis trouvée à la hauteur de la mezzanine de notre immeuble. Je ne puis dire ce que je m'attendais à voir lorsque je suis sortie de la cage de l'escalier, mais je n'étais pas préparée pour cette scène apocalyptique ; tout était entièrement recouvert de poussière blanche et de fumée. Ma première réaction fut de penser que jamais un avion, fut-iI un 767 n'aurait, heurtant le bulding 80 étages plus haut causé autant de dégâts au sol. J'ai recouvert ma tête et j'ai couru vers l'énorme ouverture du côté nord de l'immeuble par lequel nous étions évacués
Comme j'approchais du seuil, des pompiers nous crièrent de nous mettre rapidement à l'abri contre le bâtiment. Des débris continuaient à pleuvoir de tous les côtés. Nous pouvions voir les autres soldats du feu qui se tenaient sous les consoles de l'immeuble noir de l'Immigration (4 et 5 WTC). Nous avons couru derrière eux, de notre immeuble vers l'extérieur, puis sous le bâtiment de l'Immigration.

 (Photo AOL).
J'étais totalement désorientée, toussant et regardant l'étrange paysage qui s'offrait à ma vue, la place du World Trade Center, arbres en flammes, épaves, boules de feu... et la poussière.
Rien de moins qu'un hiver nucléaire. Je grimpais sur d'énormes carcasses de métal et traçais mon chemin par le pont conduisant au 7 WTC (troisième immeuble à s'effondrer). De là, je suis descendue par l'escalator jusqu'au niveau de la rue, sur Vesey Street, et j'ai trotté pour me mettre à l'abri dans Cherch Street. J'ai aussitôt regardé dernière moi et j'ai vu les restes calcinés des plus hauts étages de mon immeuble. La fumée envahissait le ciel et je commençais à avoir l'étrange impression que le WTC n'était pas là. Je ne pouvais pas être sûre en raison de la fumée qui était soufflée de mon immeuble en direction de l'est, comme j'essayais de retrouver cette Tour 2, j 'ai vu l'impensable se passer devant mes yeux. La Tour n°1 commença à se désintégrer depuis le point où elle était en feu ! Je tournais sur moi-même et partis en courant. Plus tard, j'ai appris qu'un autre 767 avait heurté le WTC 2 aux environs de l'étage où se trouve mon bureau. (Photo AOL) .

J'ai aussi appris plus tard que la Tour n°2 s'était effondrée alors que nous étions encore dans notreimmeuble au 4° étage, quand il s'était mis à trembler une seconde fois. J'ai également appris plus tard qu'il m'avait été épargné de voir les gens tomber des plus hauts étages. Je suis très reconnaissante d'être en vie et indemne et d'être capable de partager cette traumatisante expérience avec vous.
Je tiens à dire que je suis très reconnaissante à tous ces pompiers et policiers qui ont fait don de leur vie pour nous aider à sortir de la tour en feu.

Vos réactions asct@wanadoo.fr-;    Voir la page de l'Association SocioCulturelle de Toulouges.